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samedi 22 octobre 2016

La fessée

Ah cette sacro-sainte fessée ! Tant redoutée des enfant, adulée par (certains) parents.

J'exagère ? Elle est pourtant encore de nos jours présentée comme un phénomène inévitable dans l'éducation, voire indispensable. Il suffit de voir les réactions qu'a suscité le projet de loi qui fut présenté à l'assemblée pour interdire la fessée en France (notez que par « fessée » j'entends les châtiments corporels dans leur ensemble), autant chez les politiques que chez certains parents. C'est que la fessée en France madame, on y tient ! Ça fait partie de notre culture éducative, et nous sommes nombreux à en avoir goûter l’inénarrable saveur qui nous poursuit encore aujourd’hui. Elle a teinté nos souvenirs d'enfance de cette délicieuse odeur de peur, d'humiliation et de regret. C'est vrai quoi ! Qu'auraient été nos enfances sans elle si ce n'est un ramassis insipide de bienveillance et de tendresse ! Hein ?

Moi j'y ai goûté, souvent. Je la connais bien c'est une vieille amie à moi, on a fait un bout de chemin ensemble. J'étais même prête à continuer avec elle mon chemin de maman, jusqu'au jour où mon ventre s'est arrondi, me donnant la force de voir la vérité en face.

Et bien aujourd'hui la fessée, je suis CONTRE !


C'est déjà une question de justice sociale. Quelle est cette justice au rabais qui décrète que les seules personnes que nous avons le droit de frapper impunément, ce sont nos propres enfants !?
Si un type dans la rue vous manque de respect, vous n'allez pas aller lui en coller une derrière la tête pour lui apprendre les bonnes manières. Ou si vous le faites, le type qui vous a insulté a parfaitement le droit de porter plainte contre vous et vous aurez tort. Car vous n'avez pas le droit aux yeux de la loi de frapper une andouille qui vous insulte (et heureusement, sinon nos rues ressembleraient au village d'Asterix où tout le monde se tape dessus à coup de poisson pas frais). Mais si c'est votre enfant, là vous pouvez ! Parce que c'est pour son bien, parce que c'est pour son éducation. Oui madame !

Alors d'abord, soyons clairs, la fessée ne fait de bien à PERSONNE. Considérons la chose ainsi : les enfants n'aiment pas être frappés. Vous avez été enfant : avez-vous aimer recevoir des baffes ? Non. D'ailleurs si les enfants aimaient ça, les fessées seraient considérées comme inefficaces.
Mais le parent non plus, n'aime pas en donner ! D'ailleurs le parent n'a pas le droit d'aimer en donner ! Un parent qui aime frapper ses enfants c'est un pervers, un sadique, un tortionnaire.
Donc l'enfant n'aime pas en recevoir et ne doit pas aimer en recevoir, le parent n'aime pas en donner et ne doit pas aimer en donner : mais la fessée c'est bien ! C'est bien pour qui alors ?

Non, le parent se doit de l'appliquer avec la neutralité aveugle de la justice dans le but d'éduquer son enfant. Mais en quoi, la fessée éduque un enfant ?
D'abord, on sait que l'éducation de l'enfant procède avant tout de l'imitation. Alors il faut qu'on m'explique comment on éduque un enfant en faisant quelque chose que l'on accepterait pas qu'il fasse. Comment peut-on expliquer que taper c'est mal quand on tape ? C'est comme si un parent fumeur faisait la morale à son ado qui fume en lui disant que c'est pas bien. Quelle espèce de crédibilité espère-t-on retirer du fameux « fait ce que je dis, pas ce que je fais » ?

La fessée apprend-elle réellement à l'enfant à ne pas recommencer une bêtise ? Ce qui est sûr, c'est qu'elle lui apprend qu'il ne faudra pas se faire pincer la prochaine fois, ça oui. Ce qui peut ajouter, en plus de la bêtise à proprement parler, la tentation du mensonge.
Le jour où j'ai enfin décidé (à 29 ans) d'affronter cette partie de mon enfance pour me positionner sur ma propre façon d'éduquer mon enfant, j'en ai parlé avec ma mère. Elle a reconnu 2 choses : « Avec le recul je me rend compte que je te frappais car j'étais très énervée. Ce n'était pas tant ta bêtise que ma colère qui amenait ce geste. Mais ce qui m'énervait c'était que tu mentais ! Je ne supportais pas ça..... Jusqu'au jour où j'ai réalisé que tu mentais par peur d'être punie... ».... .... Tout ça pour ça ! Non seulement j'ai été frappée pour de mauvaises raisons, mais en plus au lieu de m'empêcher de faire des bêtises, ça m'incitait à en faire ! En même temps, en me replaçant 24 ans auparavant, je me rappelle bien avoir entendu encore et encore « Toute faute avouée est à moitié pardonnée ». Mais quelle arnaque ! A moitié ! Mais on s'en fout ! J'étais terrorisée par les punitions, je m'en foutais d'être « à moitié » pardonnée ! Ça valait le coup de mentir pour éviter d'être punie tout court, c'est ce que je pense encore aujourd'hui.

Ce dont je suis certaine, c'est que la fessée a ses limites.
Un jour, l'enfant peut se soustraire aux coups, où les rendre. Parce que ne nous leurrons pas, la fessée ça ne marche que quand nous pouvons imposer une dominance physique sur un être qui ne peut pas se défendre (ça s’appelle un abus de faiblesse, CQFD). Passé un certain âge, soit cette violence s’accroît au delà de ce que même notre « justice » tolère, ou devient réciproque, soit le parent se retrouve démuni, obligé d'essayer de nouer un dialogue tardif avec un enfant écorché qui n'a plus sa confiance et qui restera sans doute longtemps fermé à ses tentatives de conciliation (testé avec mon frangin, ça vous pourrit une famille.).

Car la fessée créé du ressentiment. Pouvons nous affirmer que toutes les fessées données sont justes ? Et quand il y a erreur, le parent fait-il toujours l'effort d'avouer qu'il a eu tort ? Non, évidemment, ce serait reconnaître une fêlure dans l'autorité parentale dans laquelle le petit monstre pourrait s'engouffrer à jamais (et bonjour la pression quand on doit faire en permanence semblant d'être infaillible). Or toutes ces injustices qui s'accumulent éloignent l'enfant et diminuent la confiance qu'il porte en ses parents, voire lui donne envie de contre-attaquer.

Car la fessée créé aussi de la peur, qui si elle donne l'illusion que la fessée est efficace, conduit à long terme au même résultat. Et on se retrouve un jour avec sa gamine à l’hôpital car elle est rentrée en voiture d'une soirée bien arrosée et qu'elle n'a pas osé appeler de peur de s'en prendre une. On ne comprend pas comment notre enfant si sage en apparence a fini par tomber dans les pires vices sans qu'on le sache. Pourquoi il/elle n'a rien dit ? Comment en est on arrivé là ?
Et que de moments gâchés ! Le retour du père à la maison : c'est un moment de joie normalement. Sauf quand ce retour c'est la fessée promise depuis une heure. On aimerait que son père ne rentre jamais. C'est affreux.

Honnêtement, si tous les gamins qui ont reçu des fessées étaient devenus des anges ça se saurait non ? Depuis le temps qu'on l'applique, cette fessée, a-t-elle donné de vrais résultats ?

Et quand bien même elle serait efficace avec certains enfants, il est question aussi de construire la civilisation dans laquelle nous vivons. Comme l'explique très bien Carlos Gonzalez dans son livre « Serre moi fort » : même si on sait que la police pourrait par exemple obtenir de meilleurs et de plus fiables renseignements d'un accusé en le torturant, on accepte pas qu'on le fasse. Surtout qu'on est pas sûrs que le type soit vraiment coupable, même s'il existe des soupçons. Il s'agit de morale, de respect commun. La société doit être porteuse des valeurs qu'elle attend de ses citoyens.
L'éducation par la fessée appliquée à l'échelle d'une société : réprimer des comportements jugés comme intolérables -de façon pas toujours totalement lucide- par une sanction douloureuse et effrayante, pour conditionner le coupable à ne plus recommencer, sans que celui-ci puisse se défendre...
...Ça s'appelle une dictature. 
 
C'est d'ailleurs toute l’intérêt d'une loi pour l'interdire, même si en l'état du projet actuel elle ne prévoit pas de sanction (ce qui dans une premier temps est une bonne chose). C'est dire officiellement que la société française n'accepte pas les châtiments corporels comme une méthode acceptable d'éducation.

Alors pour légitimer cette fessée on s'enfonce dans le déni et l'on tente de la minimiser :
« Une bonne fessée ça ne fait pas de mal ! » Aaaah si ! Sisisisi, ça fait même très mal ! Pas seulement au corps mais aussi au cœur. D'ailleurs c'est la douleur qui est censée être garante de l'efficacité de la fessée. Le problème c'est que la douleur physique passe, l'autre douleur a une fâcheuse tendance à rester.
« Taper pas fort ça n'est pas taper ». Ah ben si ! Dans « taper pas fort », il y a « taper », précisément. 
"J'ai reçu des fessées étant enfant, je n'en suis pas mort". Remercions le ciel que vos parents ne vous aient pas tué, c'eût été la moindre des choses. Et pour le reste ?

Parlons de la fessée avec honnêteté si nous en parlons : la fessée c'est frapper. Il s'agit là de violence, de domination par la force et par la peur, ça n'est PAS une bonne chose.
Et de ce fait à mon sens ça n'est PAS acceptable.

Je ne prétends pas blâmer ou juger les parents qui emploient la fessée. Je prétend juger la fessée elle-même.
Je prétend essayer de faire comprendre à ces parents que parfois on s'accroche à des façons de faire qui font souffrir l'enfant, et, j'en suis convaincue, le parent, juste par habitude. Parce qu'on a toujours connu que ça et qu'on a peur de remettre nos fondements en questions. C'est déjà tellement dur d'être parent....
Parce qu'on nous rabâche que c'est ça, bien éduquer nos enfants. Parce qu'on nous rabâche que l'opposé de ça c'est l'enfant-roi, le parent-esclave.
Mais je vous encourage à oser, à faire le pas de chercher ailleurs d'autres méthodes et de s'en nourrir. 

Pour en arriver à cette conclusion j'ai du faire un bilan de mon parcours personnel, de mon vécu et de l'éducation que j'ai reçu de mes parents. Il a été dur, dur car risqué. S'avouer ce que l'on a à "reprocher" à ses parents c'est prendre le risque de les aimer moins. Mais non, je les aime plus aujourd'hui qu'hier. J'ai cherché à comprendre les raisons de cette éducation. Aujourd'hui je sais qu'ils ont été de bons parents, parce qu'ils ont fait tout ça en nous aimant, en pensant faire au mieux. Au final, je ne leur reproche rien. Mais n'empêche que s'ils s'en étaient tenu à ça, où serais-je aujourd'hui ? Mes parents je les accepte, cette méthode qui fut la leur je n'en veux pas. Elle m'a fait souffrir, elle a été inefficace. Elle restera à jamais une tâche noire dans notre histoire.
J'ai vécu la différence entre l'enfance à coup de baffes et l'adolescence où nous pouvions parler, où nous nous faisions confiance. Où j'étais libre d'aimer mes parents sans barrière, sans rancœur. Au moment même où j'aurais été justement le plus en mesure de faire de très grosses bêtises, volontairement (j'en ai fait d'ailleurs, mais jamais en voulant leur faire du mal). Je pense être devenue quelqu'un de bien, de respectable tout du moins et certainement pas grâce aux coups de j'ai reçu ; mais grâce à l'amour, la compréhension, au dialogue, aux valeurs, aux savoirs que m'ont transmis mes parents. Et de cela, je leur suis reconnaissante aujourd'hui.
Avez vous déjà entendu quelqu'un dire « merci maman pour les baffes, pour les claques, pour les fessées, pour m'avoir enfermé dans ma chambre, pour m'avoir privé(e) de repas » ?
Mais vous avez sûrement déjà entendu « merci maman pour ta patience, ton courage, ta compréhension, ton écoute, ton soutien, ton amour ».

Qu'auriez vous envie de dire à vos parents aujourd’hui ?
Qu'avez vous envie de retenir de votre éducation ?

Qu'avez vous envie que vos enfants retiennent de vous demain ?

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